Publié le 30 Décembre 2011
On va passer quelques jours dans la famille de Jules au pied des Pyrénées. Bordeaux-Tarbes... depuis le temps, la voiture connaît le chemin par cœur. 230 kms, 2 h 45 de route, c’est rôdé comme du papier à musique.
La nuit est tombée. La journée a été magnifique et le coucher du soleil parfait, formant une grosse boule orange entre les troncs des pins maritimes. Vraiment, la nature nous a gâtés ce soir. A présent, c’est la nuit noire mais le ciel est clair, des milliers d’étoiles s’allument au dessus de nos têtes. Je pense : « Où est la nôtre » ?
Dans la voiture, tout est silencieux. Fiston 2 et Fiston 3 se sont enfin calmés. Ils viennent de nous chanter en duo tout le répertoire de S-N-I-P-E-R, puis ils ont refait le monde, comme souvent pendant les grands voyages. Que se passerait-il donc si la charmante petite bourgade que nous habitons entrait dans la C.U.B. (ndlr : Communauté Urbaine de Bordeaux) ? On ne vivrait plus comme des ploucs, on aurait des vrais bus, toutes les heures… peut-être même plusieurs fois par heure ? Bref, on ne serait plus coupé du monde. On serait relié à la VRAIE civilisation, voire à la civilisation tout court. On pourrait sortir le soir, sans que les parents ne soient obligés de sortir leur voiture, etc. etc. etc..... Mais à présent, ils somnolent sur les sièges du milieu. Fifille est à l’arrière, elle bouquine à la lueur de sa petite veilleuse. Fiston 1 n’est pas venu avec nous. Peut-être nous rejoindra-t-il demain en train ? Jules s’est endormi. Je conduis.
Nous sommes sur une grande nationale, la circulation est dense en cette fin de journée. Ça roule vite, malgré la limitation à 90. Mes pensées vagabondent. Je pense à la soirée que l’on va passer tous ensemble. Je pense aux cousins/sines que je vais retrouver. Je pense aux ados qui doivent encore avoir grandi, aux petits qui doivent encore avoir changé. Je pense au repas qui nous attend. Je pense à la chaleur de ces moments en famille. Je me réjouis. Je calcule mentalement la distance qu’il nous reste à parcourir. Si tout va bien, nous devrions arriver d’ici une heure de temps.
Si tout va bien….
Une voiture me suit d’assez près depuis un petit moment. Je ne dois pas aller assez vite à son goût. Bah oui, depuis que mes jeunes font la conduite accompagnée et depuis que je me suis pris deux PV pour excès de vitesse, tout petits excès mais quand même je respecte les limitations, enfin… j’essaye.
Soudain, un grand clac qui vient du moteur. Une fraction de seconde et puis plus d’accélérateur, le moteur s’arrête, la direction se bloque. Pas le temps de réfléchir, juste celui d'avoir le bon réflexe, de freiner dans une gerbe de boue en mordant sur le bas côté et de m’arrêter en catastrophe à quelques centimètres du fossé. La voiture derrière moi et celles qui la suivaient m’évitent de justesse, dans un concert de klaxons qui meurent dans la nuit.
Jules se réveille : « Le moteur ne tourne plus, tu as calé ! »
Je crie : « Mets les warnings ».
Fiston 3 ouvre les yeux : « Dis maman, mais pourquoi on s’arrête ? »
Fifille lève le nez : « On est où ? »
Fiston 2 ne dit rien.
J’essaye de redémarrer plusieurs fois. Nada.
On fait quoi maintenant ? Dans ces cas-là, on se remémore vite fait quelques conseils élémentaires de prudence : sortir de la voiture, mettre les gosses à l’abri derrière la glissière de sécurité, sécuriser l’endroit, rejoindre les enfants.
Feux de détresse, gilets jaunes, triangle. Rien n’est de trop. Nous sommes arrêtés au bord de la route dans un endroit relativement dangereux, avant un grand virage. Les roues de gauche de notre voiture mordent sur la chaussée. Impossible de bouger le véhicule. Les roues de droite ont formé une grosse ornière et sont complètement enlisées dans la boue. Les camions roulent à vive allure, font trembler l’habitacle à chaque passage et se croisent dangereusement dans des tourbillons de vent et de bruit. Il n’y a pas de glissière de sécurité. Juste un fossé plein d’eau, un talus de trois mètres presque à pic et en haut un mur de ronces. Il fait nuit noire. Les phares des voitures qui passent nous éclairent à chaque fois mais nous laissent ensuite aveuglés pour de longues secondes.
Impossible de rester là.
A une centaine de mètres, on distingue un petit chemin de campagne.
De là, j’essaye d’appeler l’assurance, mais les lignes sont occupées. Bien sûr, je ne me souviens pas du numéro de l’assistance, pourtant si facile à restituer en cas d’urgence. Je cherche, il est bien quelque part… mais comment le retrouver dans le noir et dans un sac à main aussi grand et rempli que la hotte du Père Noël un 25 décembre ? Tant pis, je retente l’assurance. Dommage, le temps qui nous était imparti doit être écoulé car désormais le portable ne passe plus !
Immense moment de solitude….
Plus personne ne dit rien.
Puis, comme dans les films, on voit une petite lueur briller dans la nuit. Une habitation ? Un hangar ? On décide de s’approcher. De toute façon qu’est-ce qu’on peut bien faire d’autre ? Prendre un thé, faire une partie de tarot, organiser un tennis ? On a envie de rire mais c'est nerveux. Imaginez un instant cinq personnes avançant la nuit sur un chemin de campagne perdu au milieu de nulle part. Bien sûr, nous sommes habillés pour aller à un repas de famille, pas pour un treck dans les champs. Et bien sûr, dans l’urgence, personne n'a pris son manteau. Or, aux dernières nouvelles, le thermomètre affichait 3°.
C’est le moment que choisit notre bonne étoile pour briller un peu plus fort. La lueur provient effectivement d’une ferme. Et elle est habitée... par un énorme chien qui doit se demander ce qu'on fout là mais aussi par un humain qui, après avoir écouté les explications de Jules, accepte gentiment d’appeler une dépanneuse. Puis, il part !
Nous devons retourner sur la route et attendre.
Je tremble, non pas de froid, mais dans la peur que notre voiture immobilisée et mordant sur la chaussée ne provoque un accident. Ou que dans la nuit un véhicule fauche l'un d'entre nous.
Les jeunes, eux, sont loin de ces considérations typiquement maternelles. Ils s’organisent !! Ils veulent faire, avec le foulard de Fiston 2, une grande banderole qui dirait « H-E-L-P » à destination des voitures qui arrivent à toute allure en face de nous. Je dois les en dissuader ! Fiston 2 donne sa veste à Fifille. Il est en chemise et Fiston 3 est en tee-shirt. Ils décident donc de faire un échauffement pour ne pas avoir froid. Fiston 2 fait le prof de sport. Fifille pouffe. Soudain, réalisant toute la gravité de la situation, et pour la première fois depuis que nous sommes sortis de la voiture, Fiston 3 demande l’air franchement inquiet : "Mais Maman, au fait, est-ce qu’au moins on a de la nourriture ?"
Non, pas de nourriture, pas de manteau, pas de téléphone, pas de lampe de poche, juste une voiture en panne qui clignote au milieu de la nuit.
Et cinq vies, si précieuses, qui sont intactes.
Car que serait-il arrivé si cette panne était survenue alors que Fiston 2 conduisait ? Il venait juste de me rendre le volant après quelques dizaines de kilomètres de conduite accompagnée Que serait-il arrivé si cette panne avait eu lieu alors que je doublais un camion à vive allure comme cela venait de se produire plusieurs fois sur les petites routes des Landes ? Que serait-il arrivé si je n’avais pas réagi comme il faut ? Les journaux sont pleins de familles décimées parce que le chauffeur a perdu le contrôle de son véhicule. Et que serait-il arrivé si notre voiture au bord de la chaussée avait provoqué un accident ou un carambolage fatal…
Quand j’y pense, je flippe.
Des incidents de parcours comme celui-ci nous ramènent brusquement à la dure réalité de la vie :
elle ne tient qu’à un fil qu’il est si facile de briser…