Une quatrième grossesse quand les "grands" ont 6 ans 1/2, 5 ans et pas tout à fait 3 ans, ce n'est pas de tout repos. Il y a 12 ans, je menais donc une vie de maman bien active entre l'école primaire, l'école maternelle, la halte-garderie, la maison et le supermarché et j'étais ainsi intimement persuadée que Bébé allait poindre le bout de son nez bien en avance.
Je dis Bébé, car nous n'avions pas souhaité connaître le sexe de notre futur enfant. "Un bébé, c'est un bébé, et du moment qu'il est en bonne santé le reste n'a pas d'importance" claironnais-je à qui voulait l'entendre. Mais secrètement, j'étais persuadée que ce serait encore un petit homme : même grossesse, même gros gabarit, même "bouille" à l'échographie... Il fallait se rendre à l'évidence, je ne savais probablement faire que des garçons.
Dans les jours précédant la naissance, j'avais pris beaucoup de plaisir à lui acheter son premier pyjama. Je savais que Bébé allait ensuite mettre les affaires de ses frères, alors je voulais qu'il ait un petit vêtement bien à lui en souvenir de ce jour exceptionnel. Pour éviter de tomber dans les clichés et d'acheter du bleu ou pourquoi pas du rose, j'avais choisi un magnifique babygro anis, taille naissance. Ben oui, pour un bébé qui va naître, ça paraît logique....
Mais le 11 avril, veille du terme : RIEN.
J'avais pourtant dansé le rock, promené et porté les garçons en long, en large et en travers dans tout le lotissement, aspiré à fond la voiture (un grand Espace quand même !), porté les courses, monté-descendu les escaliers des dizaines de fois et fait le ménage dans toutes les chambres.
Sans résultat.
La perspective d'un accouchement déclenché ne m'enchantait guère et j'ai donc profité d'un tête-à-tête avec Bébé pour lui expliquer que c'était le moment, qu'il s'était assez bichonné comme ça et que ce serait peut-être bien qu'il se décide à venir au monde maintenant, de la façon la plus naturelle qui soit.
J'ai toujours pensé que cette petite conversation avait porté ses fruits car, le 12 avril au tout petit matin, un lundi, nous prenions la route de la maternité, toujours la même, pour la quatrième fois. Le jour se levait et nous avions même pris le temps d'aller voir le Bassin d'Arcachon, là, tout au bout de l'allée.
La marée était basse et tout était paisible... Mais pas comme les deux-trois heures qui allaient suivre !! A peine arrivée à la maternité, aussitôt périduralisée. J'ai toujours soupçonné l'anesthésiste de m'avoir injecté de l'eau de vaisselle en lieu et place d'un VRAI produit efficace. L'avantage est que tout ça a été plié en deux temps trois mouvements, outre le fait bien sûr que j'ai crû mourir et qu'il a fallu toute la dextérité de l'obstétricien pour mettre au monde un fabuleux petit être qui n'avait rien trouvé de mieux à faire dans mon bidon (eh oui ! 9 mois à l'étroit ! c'est long !) que d'entortiller son cordon sur lui-même et de se l'enrouler consciencieusement autour du cou.
Un peu de panique donc au démarrage et quelques minutes avant que je ne puisse prendre ma fille dans mes bras.
Eh oui, une FILLE, contre toute attente !! Ma surprise était ÉNORME, à la hauteur du plaisir de l'obstétricien d'avoir mis au monde une nana après trois petits gars. J'avoue que j'ai, de mon côté, mis plusieurs jours à m'habituer à ce que je voyais en ouvrant la couche de Fifille. Pas évident de se défaire d'une habitude qui durait depuis 6 ans 1/2.
Fifille ne fut malheureusement pas à son avantage pour ses premières heures dans notre monde : à moitié étranglée lors de sa naissance, elle arborait un superbe teint violet, des vaisseaux avaient éclaté sur ses paupières et dans ses yeux, le tout sur fond du fameux pyjama vert anis qui la moulait de partout et dont je n'ai jamais pu fermer le dernier bouton au niveau du cou, et pour cause : elle pesait 4kg200.
Ses frères, Number 1 alias le Chevalier Sans Peur et Sans Reproches, Number 2 le clone de Zorro himself et Number 3 le Champion Automobile ont fait une drôle de bobine en voyant leur petite soeur. "Hein ? Quoi ? Une fille ? Mais elle va nous prendre nos épées et nos voitures !" ont-ils déclaré tous en choeur.
Désolée, Fifille, mais la vie ne s'annonçait pas de tout repos pour toi.
Dehors les pins s'agitaient devant ma fenêtre, le vent s'était levé et mis à souffler en tempête, ce qui a fait dire à la sage-femme "qu'elle allait avoir un sacré caractère cette petite", ce en quoi elle n'a pas eu tort.
Mes amies ont déposé sa première Barbie dans son berceau, leur façon à elles de lui souhaiter la bienvenue et son arrivée dans la grande famille des Filles.
Les journées à la maternité se sont écoulées paisiblement, et j'ai profité de chaque instant avec Fifille. Je savais les garçons chouchoutés par leur papa et leurs deux mamies. L'expérience aidant, je n'ai guère écouté les sages-femmes et n'en ai fait qu'à ma tête, la prenant contre moi et dans mon lit presque tout le temps.
Elle a grandi comme pousse un petit champignon, volontaire et courageuse, ne voulant jamais être en reste derrière ses frères, ni différente d'eux. Jamais elle ne s'est plainte, elle est tombée et s'est relevée cent fois.
Maternante dès son plus jeune âge, elle dorlotait poupons et nounours, leur faisant l'école et à manger, avant de s'occuper de SES trois gars, qu'elle suivait partout. Elle adorait organiser des lotos, des spectacles, des restaurants ; elle mettait la dînette, faisait des menus, il fallait venir manger ses pizzas et ses crêpes. Elle était aussi la reine des Playmobil et des Legos, et le montage du vaisseau de Luke Skywalker ou de la station spatiale n'ont jamais eu de secret pour elle.
Pendant deux ans, je me suis régalée en l'habillant à ma guise puis, petit à petit, elle s'est débarrassée de tous ses accessoires de fille ("mais maman ! les garçons ne mettent pas ça !!) : d'abord les collants, puis les robes, puis le rose, puis tout le reste, pour finir par les chouchous, les barrettes et par couper sa magnifique natte qui lui descendait jusqu'aux fesses. De 7 à 10 ans, elle a eu sa période "garçon", elle voulait tellement leur ressembler, n'hésitant pas à cracher par terre, grimper aux arbres comme une sauvageonne et s'inscrire au judo et au foot, peu perturbée par le fait qu'elle était la seule joueuse du club.
Il a fallu qu'elle rejette sa féminité, pour ne pas dépareiller dans sa fratrie, pour mieux la retrouver ensuite, c'est-à-dire maintenant. La pré-adolescence lui va bien, elle se rapproche de moi et je suis égoïstement contente d'avoir une fille à mes côtés dans cette famille de garçons.
Elle est gentille, attentionnée, elle a le coeur sur la main. Elle aime coudre, broder et dessiner, mais elle manie aussi le tournevis, la perceuse et la ponceuse comme personne, trop ravie de se retrouver en tête-à-tête dans le garage avec son papa. Elle est sérieuse, studieuse et fidèle en amitié. Elle sait se faire discrète pour se faire accepter, mais aussi s'imposer et tenir tête quand il le faut.
On se dispute, on parle, on négocie, on se fâche, on rigole, on s'adore, on se comprend.
Que te dire d'autre ma chérie, sinon que le 12 avril me rappellera toujours tes premiers instants sur cette planète, la première fois où je t'ai serrée contre mon coeur sans bien réaliser que la vie, avec toi, n'en serait désormais que plus belle.
Bien sûr, je t'aime et je suis terriblement fière de toi.
Bon anniversaire ma Fifille.