DES DIEUX ET DES HOMMES
Publié le 16 Octobre 2010
Je ne suis pas une très bonne chrétienne. Je n'implore Dieu que quand je suis dans la panade. Je ne vais jamais à l'église sauf quand il le faut : communions, enterrements, mariages, baptêmes.
Et pourtant, j'ai vu un très bon film.
Un film qui parle de Dieu, de spiritualité, mais aussi des vraies valeurs qui l'entourent, que l'on aimerait avoir et transmettre à nos enfants comme : l'engagement, le courage, la simplicité, la tolérance, la charité, l'égalité mais, au-delà, la liberté des êtres, la fraternité jusqu'à la main tendue à l'ennemi, le droit de choisir.
Avant d'aller voir ce film, je ne savais pratiquement rien de l'histoire des moines de Tibéhirine, à part qu'ils y avaient été sauvagement assassinés en mai 1996, pendant la guerre civile algérienne. Je me souviens tout particulièrement de la date parce que, quand on a annoncé leur mort, Fils number 3 n'avait que 6 jours. Et on est particulièrement sensible dans ces moments-là.
Je ne connaissais pas grand chose non plus à l'ordre dont ils faisaient partie (l'ordre cistérien de la stricte observance dont les membres sont familièrement appelés trappistes) à part ce que j'en avais appris l'été dernier en visitant l'abbaye de Sénanque dans le Vaucluse. Leurs journées sont ainsi organisées : ils vivent dans un grand dépouillement et ont fait voeu d'humilité, ils prient (huit fois par jour : à vigile, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies), s'adonnent au travail manuel ou agricole, lisent des écrits religieux, se réunissent pour le chapitre, le tout dans le plus strict respect de la Règle de Saint-Benoît.
Grand Prix au dernier Festival de Cannes, Prix de l’Education Nationale, Prix du Jury Oecuménique, ce film ne retrace ni leur capture, ni leur assassinat, ni leur martyre mais leur vie depuis le moment où les menaces ont commencé à peser sur eux jusqu’à leur enlèvement. L'Histoire bien sûr en est le sujet mais leur cheminement spirituel et intime occupe toute la place.
Ils se savent en danger, les violences et les exécutions sommaires se multiplient dans la région où ils vivent, ils ne sont ni bien vus par le gouvernement algérien, ni par les terroristes, mais ils ne savent que faire. On les pousse à partir. Certains d'entre eux ont peur, ne veulent pas attendre tranquillement de mourir et, pressés par leurs familles, désirent rentrer en France. D’autres sont déterminés : ils ne plieront pas devant la violence, ils n’abandonneront pas les villageois avec qui ils sont depuis longtemps. Leur vie est là. Ils ne sont pas d'accord entre eux sur la décision à prendre et la merveilleuse cohésion de la communauté vacille. Malgré leurs croyances, leur amour de Dieu, presque tous sont en proie au doute, un doute terrible. Ce ne sont pas des héros mais de simples hommes et on voit comment ils luttent contre eux-mêmes, contre les questions existentielles qui les assaillent. Tout cela est habilement filmé par Xavier Beauvois : les plans parlent d'eux-mêmes sans la plupart du temps qu'il soit besoin de commentaires.
Petit à petit, on partage leur cheminement et on comprend comment et pourquoi certains changent d'avis, comment leur conscience évolue et comment, finalement, ils vont décider, tous ensemble, dans une totale harmonie et dans la paix d'eux-mêmes et des autres, de rester, de courir le risque de mourir et de refuser la protection de l’armée.
Les paysages arides de l'Atlas où le film est tourné nous laissent sans voix et les acteurs sont fabuleux. Tous. Il y a cette scène qui m'a particulièrement touchée où ils partagent un plat de frites et du vin. Ils ne disent rien, ils se regardent et on comprend tout : le bonheur d'être ensemble, l'émotion jusqu'aux larmes et la résolution qu'ils ont prise parce que c'est ça leur vie : être ensemble, être libres, ne pas avoir peur, croire en quelque chose de commun, de fort, de puissant, bien au-delà des contingences terrestres. : Si je ne devais ne citer qu'un acteur ce serait Michael Lonsdale, Luc dans le film, le médecin qui soigne (et bien plus encore) tout le monde gratuitement, chrétiens comme musulmans, villageois comme terroristes. Il a dans ses yeux l'émerveillement de l'enfant et la sérénité du vieillard.
Bien sûr, d'aucuns trouveront qu'il y a un peu trop de prières, de chants, de nourriture spirituelle, mais bon, c'est indispensable pour comprendre l'état d'esprit dans lequel vivaient ces moines. Attention, hein, ce ne sont pas des mystiques mais toutes ces scènes répétées rythment et structurent le film au même titre que celles de la vie quotidienne, les moments partagés avec les villageois, les soins, les fêtes familiales célébrées dans le respect de l'islam, les repas, les corvées, le travail de la terre, la vente du miel au marché, les réunions au cours desquelles chacun s'exprime librement et vote pour les décisions engageant la vie de la communauté.
Ainsi peu à peu les différences se gomment.
Difficile de mieux montrer que ne le fait le réalisateur à quel point leur choix aura été lucide,
Donc, croyant ou pas, impossible de rester indifférent.