VU CHEZ L'ORTHOPTISTE
Publié le 20 Janvier 2015
Alors voilà. La dernière fois que je suis allée chez l'ophtalmo, elle m'a non seulement prescrit mes premiers verres progressifs (ou plutôt mes deuxièmes, si vous voulez relire toute l'histoire de A à Z, c'est là et là) mais aussi des séances chez l'orthoptiste pour corriger ma vision qui, me dit-elle, n'est plus binoculaire lorsque je converge.... Bizarre ce mot vous ne trouvez pas ? Deux syllabes dont l'une est con et l'autre est verg.... Oui bon bref, là n'est pas le propos.
Me voilà donc partie pour 12 séances de rééducation, tous les lundis après la gym, c'est calé comme du papier à musique.
L'autre lundi, l'orthoptiste avait un peu de retard. Qu'à cela ne tienne, je m'installe bien confortablement dans la salle d'attente, à MA place, juste à côté du gros radiateur en fonte (c'est toujours là que je me mets quand je vais chez l'orthoptiste, ça me rappelle vraiment le lycée : même radiateur, même parquet en bois).
En attendant, je fais passer le temps en regardant mon portable, mes messages, mes mails, et comme l'orthoptiste ne sort toujours pas de son bureau pour venir me chercher, je jette un oeil rêveur sur les revues qui traînent sur la table basse : des numéros de Point de Vue (pas vraiment mon kif), de Télé Star (toujours pas la télé chez nous), d'Auto-Moto (bof bof) et... hé hé... un numéro de Géo.
J'aime bien Géo, pas vous ? Il y a toujours des articles intéressants, pas trop longs, pas trop compliqués, de jolies photos dont je peux me contenter si j'ai la flemme de lire. J'ai l'impression de voyager sans bouger de ma chaise, de changer tout à la fois d'air, de fuseau horaire, de continent et de climat. C'est comme quand je vais chez le dentiste et que sa télé est branchée sur la chaîne Voyage. Oui, oui (mais je crois que je vous l'ai déjà dit), le dentiste a la télé dans sa salle de soins... au plafond ! ce qui permet aux patient(e)s de se faire triturer la molaire en pensant à tout autre chose. Une vraie idée de génie, croyez-en l'expérience d'une douillette notoire doublée d'une pétocharde invétérée.
J'avise donc le Géo et m'en empare. Il est un peu vieux certes (car il n'y a pas que la photo qui est pourrie), comme généralement tous les magazines qui traînent dans les salles d'attente. On sent bien qu'il a été lu et relu, tripoté et tripatouillé, écorné et froissé mais je remarque tout de suite qu'il a l'air d'avoir toutes ses pages ce qui est TRES important car -comme le sable entre les pages d'un livre l'été- rien ne m'énerve plus que de commencer un article et de m'apercevoir que les pages suivantes ont été arrachées par je ne sais quelle main avide et criminelle. Plus frustrant, tu meurs.
Je le feuillette distraitement en pensant à autre chose (vraiment très en retard aujourd'hui l'orthoptiste, c'est pas dans ses habitudes, si ça continue comme ça je me demande à quelle heure je vais rentrer chez moi, c'est que j'ai pas que ça à faire, et puis j'ai faim) quand soudain je me demande de quand date ce numéro, car bien sûr il est important de connaître la date de parution d'un titre pour remettre les choses qu'on lit dans leur contexte.
Et là, je manque de tomber de ma chaise.
Sur le coup, je me suis crue dans un film, quand le héros a été propulsé dans le passé par des méchants et qu'il s'en rend compte au moment où il voit la date du jour inscrite sur un journal ou sur un calendrier. Mais dans la seconde qui a suivi, l'orthoptiste toute souriante a ouvert la porte de son cabinet en me disant "Madame Vivi, bonjour, c'est à vous" et j'ai su que j'étais toujours en 2015.
Suite à ça, j'ai bien réfléchi : soit l'orthoptiste pense que ses patients ont de tels problèmes de vue qu'ils n'y verront de toutes façons
-ou alors que du feu-, soit elle vient de ranger le grenier de sa grand-mère fan de Géo et abonnée depuis le premier numéro, soit elle est très conservatrice et a vraiment les mêmes magazines depuis 1983, soit elle n'a jamais accepté le passage à l'euro et veut continuer à faire comme si on en était toujours au temps du franc, soit c'est elle qui a été propulsée par des méchants parce que j'ai aussi trouvé dans sa salle d'attente le livre de Paul-Emile Victor Apoutsiak le petit flocon de neige qui date de 1948 (et que je lisais déjà il y a 50 ans ou presque) et un numéro de Femme Actuelle de 1989 dont PERSONNE n'avait fait les mots croisés.... ce qui est quand même un signe que quelque chose de grave cloche dans cette salle d'attente, ne trouvez-vous pas ?