JOURNAL D'UN CORPS
Publié le 21 Août 2013
Il y a quelques années, j'avais tenté de lire la saga des Malaussène dont tout le monde me disait le plus grand bien mais j'avais eu le plus grand mal à accrocher et avais dû abandonner en cours de route (je n'ai pas dit en cours de livre, quelle horreur) juste après la Fée Carabine.
Un peu plus tard, je me suis réconciliée avec Daniel Pennac en lisant Chagrin d'École dont certains passages m'ont tellement fait rire que je me souviens les avoir lus à table aux enfants, persuadée qu'ils ne pourraient pas être insensibles à l'humour de cet auteur. Quelle ingéniosité, quels stratagèmes, quels trésors de psychologie ce prof de français, ancien cancre lui-même, a déployés pour intéresser ses élèves à l'étude des belles-lettres. Pour autant que je m'en souvienne, ce livre est une vraie réflexion sur le système éducatif, la pédagogie, le rôle des parents et de la famille, celui de la télévision et des moyens de communication modernes, sur la soif d'apprendre qui, dixit l'auteur et contrairement à ce qu'on pourrait penser, anime les jeunes d'aujourd'hui comme ceux d'hier.
C'est pourquoi sans doute je me suis laissée tenter par l'achat de Journal d'un corps.
De 13 à 87 ans, âge de sa mort, le narrateur, né en 1923 et mort en 2010, a tenu scrupuleusement, minutieusement et plus ou moins régulièrement le journal de son corps et de tous ses "ressentis". Pas un journal intime où l'on coucherait ses sentiments. Non. Le récit, parfois un peu cru, anatomique et sans artifice (mais pas tant que celui de Bix Sabaniego) de toute une existence examinée et décrite depuis le corps et sa scrutation sous tous les angles, même les plus triviaux.
Fluides, matières, chairs, tripes et orifices compris.
Nous qui nous sentons parfois si seuls dans notre carcasse, nous découvrons peu à peu que ce jardin secret est un territoire commun. Tout ce que nous taisons est là, noir sur blanc, et ce qui nous fait si honte ou peur devient souvent matière à rire.
D'un point de vue exclusivement féminin, ce livre pourrait être ainsi résumé, mais pas que :
50 ans, 3 mois - jeudi 10 janvier 1974
Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d'abord aux femmes. En retour, j'aimerais lire le journal qu'une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin du mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemple qu'un homme ignore tout de ce que ressent une femme quant à la forme et au poids de ses seins et que les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l'encombrement de leur sexe.
Voilà quelques autres extraits, en vrac, qui m'ont plu ou "parlé" (impossible de tous les citer) :
29 ans, 7 mois, 28 jours - dimanche 7 juin 1953
Cette différence entre le câlin de pure tendresse et celui que l'on consent pour en finir avec les pleurs. Dans le premier cas le bébé se sent au centre de l'amour, dans le second il sent l'envie de le jeter par la fenêtre.
44 ans, 10 mois, 5 jours - jeudi 15 août 1968
Toujours la plage. Je lis, allongé sur ma serviette. J'y vais dit Mona. Je la regarde marcher vers la mer. Quelle merveille, cette continuité du corps féminin que rien ne vient interrompre ! Il faut dire que Mona ne porte jamais ces maillots de bain deux pièces qui tranchent les femmes en cinq.
46 ans, 2 mois, 29 jours - jeudi 8 janvier 1970
A la façon très particulière dont Chevrier s'est mis à me regarder à midi, alors que nous commentions Genève devant nos tranches de foie de veau, j'ai su qu'un bout de persil était resté collé quelque part du côté de ma lèvre inférieure. Ce qui m'a fait repenser à un certain Valentin qui m'épatait fort à l'époque où je préparais le concours. Un puits de science, des digressions enchanteresses sur l'amour courtois, les poètes de la Renaissance ou la Carte de Tendre. Mais lui ne comprenait pas ce genre de regard et il mangeait comme un cochon. A la fin du repas, nous lisions le menu sur sa barbe. C'était absolument répugnant. Et un signe avant-coureur de la clochardisation qui devait le conduire des années plus tard en hôpital psychiatrique, lui, le major de sa promotion.
Au final, un livre tout à fait unique en son genre, assez agréable à lire et que l'on a du mal à quitter tout de suite une fois la dernière page tournée...