Publié le 12 Mars 2014
Mélanie était une jolie petite poupée de 2 ans aux yeux incroyablement bleus et au sourire de rêve. Fiston 3 et Mélanie n'avaient que quelques semaines d'écart et partageaient leurs jeux à la halte-galerie où leurs mamans les déposaient parfois, le temps de faire quelques courses ou de boire un café entre copines. Le jour des 2 ans et 4 jours de Fiston 3, par un beau dimanche très ensoleillé et chaud du mois de mai, Mélanie s'est noyée dans la piscine hors sol des voisins de ses parents. Leurs enfants étaient grands, ils étaient partis à la plage, ils n'avaient pas pris la peine d'enlever l'échelle qui empêchait l'accès au bassin. Mélanie a été maintenue quelques jours en vie dans un coma artificiel jusqu'à ce que ses parents décident de tout débrancher et de la laisser partir tout là-haut dans le ciel et les étoiles. Depuis, les mois de mai et les baignades n'ont plus tout à fait le même goût.
Une quinzaine d'années auparavant, l'été, quelque part dans un petit village d'Alsace, Serge, 17 ans (né la même année que moi), était parti se baigner avec ses amis dans une gravière. C'était un beau jeune homme. Pour épater les filles, il a plongé mais à un endroit où l'eau n'avait que quelques dizaines de centimètres de profondeur. Le diagnostic a été sans appel : fracture des cervicales et lésion de la moëlle épinière. Serge, tétraplégique, a passé le reste de sa trop courte vie chez ses parents, dans un fauteuil roulant. Ma mère m'a annoncé son décès il y a quelques mois.
Ces deux événements ont bouleversé ma vie. Après l'accident de Serge, j'ai commencé à me méfier de l'eau plaisir qui peut devenir eau mortelle, moi qui m'y suis toujours sentie épanouie et à l'aise comme un poisson. Après la disparition de Mélanie, je n'ai plus pu quitter mes garçons des yeux pendant plusieurs semaines. Dès qu'ils tournaient le coin de la maison, une peur panique m'envahissait. Heureusement, à cette époque-là, nous les emmenions déjà depuis longtemps aux bébés-nageurs et les voir évoluer dans l'eau, pouvoir regagner le bord sans difficulté m'avait plus ou moins tranquillisée.
Quand Fifille a rejoint ses frères, que les enfants ont grandi et que nous avons décidé il y 10 ans, pour eux, de creuser une piscine dans notre jardin, j'ai été impitoyable. Pas de bassin sans dispositif de sécurité (à l'époque, ils n'étaient pas encore obligatoires). Un grillage de 1,50m avec une porte fermée à clef dont les parents étaient les seuls détenteurs me paraissait être un minimum.
Quand ils ont encore grandi, je les ai abreuvés d'interdictions en tout genre : interdit de se baigner sans un adulte, interdit de plonger n'importe où, interdit de laisser la porte ouverte après la baignade, interdit de négliger le fait que nous avons des petits voisins qui ne savent pas nager et qui peuvent être attirés par l'eau de la piscine, interdit d'oublier que cette dernière est un lieu de plaisir et de détente mais aussi de danger, qu'elle peut vite devenir le théâtre d'un drame, interdit de courir sur les margelles et risquer de se blesser, interdit de laisser les copains faire les idiots... etc. etc. etc. et à la plage, bien sûr, interdit de se baigner en dehors des zones surveillées. Bref, une emmerdeuse dans toute sa splendeur.
Et puis, le grillage n'a plus suffi. Il avait beau être efficace et dissuasif, il n'était pas aux normes AFNOR recommandées par la loi de janvier 2003 relative à la sécurité des piscines privées. Pour se mettre en conformité, (en plus du grillage d'1,50m bien sûr !), nous avons donc acheté une alarme immergée prévue pour sonner dès qu'elle détecte un mouvement anormal dans l'eau, comme la chute d'une personne. Le hic, c'est qu'elle se déclenchait à toute heure de la journée et de la nuit pour le plus grand bonheur des voisins (et accessoirement le nôtre), sans aucune raison : ni vent, ni vague et bien sûr ni chute. Et comme dans l'histoire du berger Guillot, je me alors suis demandée des dizaines de fois : "Qui va s'inquiéter, en cas de potentielle chute, en entendant sonner l'alarme (pour la énième fois) en notre absence du domicile ?".
Devant l'inutilité de ce dispositif, finalement plus souvent débranché que branché, mon angoisse est montée d'un cran. Passe encore l'hiver : qui a envie (à part Jules bien sûr) de s'approcher d'un bassin d'eau gelée, recouvert d'une épaisse bâche fixée avec des tendeurs tous les cinquante centimètres ? Mais, dès les beaux jours revenus, la piscine si bleue et si tentante devenait pour moi une obsession et une véritable source d'angoisse.
Cette année, nous avons donc enfin pris le taureau par les cornes et fait installer un volet roulant rigide qui nous a semblé être la solution idéale pour sécuriser la piscine sans en négliger l'esthétique (ce qui, tout à fait entre nous, était le cadet de mes soucis).
En plus du grillage d'1,50m bien sûr qu'il n'est pas prévu pour l'instant de démonter !
Je crois que cette fois je vais enfin pouvoir dormir sur mes deux oreilles et quitter mon domicile en toute sécurité, sans que mes pensées ne reviennent trop souvent vers Mélanie et Serge...